Les affiches sur la question palestinienne
Zoom sur
LE CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN DANS LA COLLECTION DES AFFICHES DE LA BDIC
Les affiches sous titre « Palestine 1946-1999 », en cours de classement, comprennent un ensemble d’environ 280 affiches, qui englobe deux sous-ensembles :
1) Les affiches de solidarité à la cause nationale des Palestiniens ou d’action humanitaire en faveur des réfugiés, en provenance de l’étranger. Dans leur majorité ce sont des affiches en français, y compris celles d’organisations issues par l’immigration et/ou l’émigration arabe en France, ou d’organisations internationales (Nations-Unies, Fédération mondiale de la jeunesse démocratique).
2) Les affiches proprement palestiniennes, produites par les institutions et les composantes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Chronologiquement, c’est la période allant de la fin des années soixante à 1987 qui est couverte. On dispose ainsi d’un aperçu graphique de la période qui s’étale de l’unification du mouvement national palestinien, au lendemain de la guerre des Six Jours, à la première Intifada. Il s’agit d’une période cruciale de plusieurs points de vue. Premièrement, parce qu’elle se caractérise par la transformation du conflit israélo-arabe aussi en conflit israélo-palestinien. Ensuite, parce qu’elle voit le conflit israélo-palestinien acquérir un nouveau caractère transnational, lié non seulement au recours au terrorisme, régional et international, et à sa phase « libanaise », mais aussi à l’imbrication du conflit avec les antagonismes nourris par la Guerre froide et, enfin, à la constitution de réseaux de solidarité non étatiques. De ce dernier point de vue, il s’agit de la période qui voit le conflit israélo-palestinien s’introduire aux clivages internes, politiques et/ou communautaires, et devenir ainsi une véritable « passion française ».
La collection de la BDIC ne dispose pas des affiches de la période après 1987, marquée par la première et la seconde Intifada, le processus politique pour la paix et ses échecs, la montée du Hamas, et deux nouvelles guerres au Proche-Orient (Liban 2006, Gaza 2009). La collection permet surtout de faire des éclairages sur la naissance d’un pouvoir palestinien, l’OLP, et son évolution à la suite de la guerre des Six Jours (annexion de la part d’Israël de la Cisjordanie, Jérusalem-Est et de la bande de Gaza). En passant par la guerre civile libanaise, les accords de Camp David, la guerre de 1982, les massacres de Sabra et Chatila, l’évacuation du Liban des combattants palestiniens et l’installation de l’OLP à Tunis, la collection des affiches donne à voir l’histoire de la période « révolutionnaire » qui marque l’apogée de l’OLP, avant sa défaite et la redéfinition de ses objectifs politiques imposés par le déclenchement de l’Intifada. D’un autre côté, la collection permet de voir les connexions de la résistance palestinienne avec des mouvances politiques à l’étranger, en l’occurrence en France. Aussi, dans une moindre mesure, le calage de la lutte palestinienne avec les antagonismes de la Guerre froide. Enfin, la place du problème des réfugiés et l’action des Nations-Unies en la matière.
Affiches de solidarité à la cause palestinienne (dates extrêmes : 1972-1985)
Les affiches en question se distinguent en deux catégories : celles, d’une part, issues d’un contexte français et celles issues d’organisations internationales.
La solidarité à la cause palestinienne en France (dates extrêmes : 1972-1985)
- La solidarité des communautés arabes installées en France, comme le Mouvement des travailleurs arabes (MTA).
- La solidarité estudiantine, qu’elle soit par affinité culturelle (étudiants en provenance des pays arabes installés en France) ou/et motivée par affiliation idéologique à la lutte anti-impérialiste dont se revendiquaient à la fois les gauches françaises et la majorité des mouvances palestiniennes de l’OLP. Il s’agit notamment des affiches du Comité Nanterre Paris X pour la Palestine.
- La solidarité politique et idéologique des partis ou des mouvances de la gauche et de l’extrême-gauche françaises (PCF, PCF m-l, PCF révolutionnaire m-l, PSU, Comité Indochine Palestine, la dite Organisation juive révolutionnaire, UEJV, atelier FAP – affiches réalisées par des artistes palestiniens).
- L’action associative. On trouve ici notamment les affiches de l’Association médicale franco-palestinienne.
Ces affiches sont à voir en parallèle avec celles classées sous « Israël 1946-1999 » appartenant à la catégorie « affiches françaises ». Cela permet d’avoir une vue plus globale des clivages français auxquels le conflit israélo-palestinien a participé.
La solidarité internationale (dates extrêmes : 1973-1983)
- La solidarité inter-arabe (affiches en provenance de formations libanaises, marocaines, irakiennes, en français ou en français et en arabe).
- Les affiches de diverses organisations internationales, éditées dans le cadre des campagnes du Département de l’information publique des Nations Unies et de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il existe en outre des affiches de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, démontrant combien la question nationale palestinienne a su trouver sa place dans le dispositif de la Guerre froide, notamment par le biais du tiers-mondisme et des non-alignés).
Affiches palestiniennes (dates extrêmes : 1969-1987)
La collection des affiches palestiniennes de la BDIC (189 affiches) offre un spectre considérable de la production graphique de l’OLP. Il s’agit plus particulièrement :
- Des affiches des organisations militaires palestiniennes les plus importantes représentées au sein du Conseil national palestinien (CNP) : Fatah, Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), Al Saika. Tous groupes confondus, ces affiches couvrent la période allant de 1969 à 1987. Elles sont en anglais ou/et en arabe, mais aussi en français (ou français et arabe).
- Des affiches des unions de masse et des syndicats représentés au CNP, dont plus particulièrement l’Union générale des écrivains et journalistes palestiniens et, surtout, l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS). Les affiches de la GUPS comprennent celles de diverses sections autres que la GUPS France (GUPS Italie, affiches internationales en anglais). Par ailleurs, des affiches de l’Union générale des femmes palestiniennes (GUPW) sont classées parmi les affiches du Département de l’information unifiée. 1975-1985. Ces affiches sont en français ou en français/arabe, italien, anglais.
- Des affiches des bureaux de représentation de l’OLP dans divers pays européens, dont la France, l’Italie, la République démocratique allemande (RDA). Ces affiches couvrent la période 1972-1983 (notamment France). Elles sont en anglais, français (et arabe), italien.
- Des affiches en provenance du Département de l’information et de la culture et de l’orientation nationale de l’OLP (information unifiée, information extérieure, information et orientation nationale), couvrant la période 1974-1987. Elles sont en anglais (et arabe), en français (et arabe) ou en arabe.
- Des affiches d’institutions d’utilité sociale et/ou économique telles que le Croissant-Rouge palestinien ou le SAMED (Palestine Martyrs Works Society, Société d’œuvres des martyrs palestiniens).
Diffuser l’information : l’affiche au service de la propagande de l’OLP
Ces affiches permettent de suivre le mouvement national palestinien d’un angle qui n’a pas souvent été mis en valeur dans la recherche : celui de la communication effectuée par l’OLP en faveur de la cause nationale palestinienne.
Créée en 1964 sous l’aile de la Ligue arabe, et essentiellement sous celle de Nasser, l’OLP a subi une transformation rapide à la suite de la guerre de 1967. L’élection de Yasser Arafat, chef du Fatah, à la présidence du Comité exécutif de l’OLP en 1969 a scellé l’unification, au moins dans ce cadre institutionnel, du mouvement national palestinien sur la base d’un consensus entre les groupes militaires palestiniens les plus importants ainsi que les unions de masse et des syndicats. Dès le début, l’OLP disposa d’une organisation institutionnelle sophistiquée à vocation de fournir au peuple palestinien une infrastructure politique, militaire, financière, administrative – à défaut de lui fournir un territoire, dont la libération était le but annoncé. A la suite de sa réorganisation interne, toutefois, l’OLP a défini avec davantage de précision sa mission nationale, celle de libérer la Palestine afin de permettre au peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination – tout en niant verbalement, à ce stade, leurs droits nationaux aux Israéliens. L’OLP s’est donné clairement la mission de forger une identité nationale palestinienne. Dans la Charte nationale palestinienne de 1968 le mot est énoncé, contrairement à celle de 1964, le contenu de cette identité est précisément défini (articles 4 et 5) et les moyens pour y parvenir sont explicités dans l’article 7 : « … C’est un devoir national que de faire de chaque Palestinien un révolutionnaire arabe… et de le préparer à la lutte armée et au sacrifice de ses biens et de sa vie pour la récupération de sa patrie. Tous les moyens disponibles d’éducation et d’information doivent être employés à cette fin, jusqu’à la libération totale »4.
Fondé en 1965, le Département de l’information, de la culture et de l’orientation nationale de l’OLP paraît chargé de la mission de mettre au service de ce « devoir national » la culture, d’une part, l’information et la communication, d’autre part. L’organigramme du département révèle une conception sophistiquée et précise de cette mission (département de l’information unifiée, département de l’information extérieure, département du cinéma et de la photographie, département des arts graphiques, agence de presse Wafa, station radiophonique, journal Filastin-al-Thawra, Palestine, bimensuel en anglais et en français). Cette mission ciblait apparemment aussi bien le peuple palestinien que la communauté internationale.
Dans ce cadre, l’affiche paraît comme un moyen de communication extrêmement important dans la production de la section des arts graphiques du département, pour transmettre le message politique à ces deux niveaux. La production paraît riche et régulière et les affiches se réfèrent à tous les aspects de l’activité des institutions de l’OLP, même si le message privilégié est essentiellement un message politique. En ce qui concerne les affiches à vocation internationale, elles sont dans leur majorité écrasante en anglais et en arabe. Elles peuvent aussi combiner l’arabe à la langue du pays d’accueil des délégations de l’OLP, c’est ainsi qu’il existe plusieurs affiches en français. Les affiches en arabe semblent naturellement cibler davantage un public national (ou « frère » arabe). Cependant que dans les deux cas les thématiques sont conséquentes (cf. ci-dessous), les affiches en langue étrangère paraissent obéir surtout au souci de la diffusion de l’information et de la propagande en faveur de la cause palestinienne. Tandis que celles en arabe donnent aussi à voir la volonté de mobiliser toutes les composantes du peuple palestinien, de faire appel à son sentiment national, dans l’objectif de canaliser ce sentiment au service de la résistance palestinienne. Plus encore, ces affiches fournissent des éclairages à des événements phares, en fabriquant à la fois une mémoire historique qui participe à la création d’un récit national, mais aussi une mémoire vive dont le partage par l’affiche, entre autre, sert à mobiliser le peuple pour la cause nationale.
La fabrique des « mythes » nationaux
Parmi ces événements phares, on voit régulièrement apparaître la bataille de Karameh (21 mars 1968). L’affiche la plus ancienne de la collection de la BDIC, qui est assez rare, est une affiche du Fatah à propos de l’exposition organisée à la galerie d’art al Karameh, fondée à Beyrouth peu après, et consacrée précisément au premier anniversaire de cette bataille. Mythe fondateur de la résistance palestinienne, l’événement est aussi d’une importance primordiale pour l’histoire du Fatah lui-même. Il constitue à la fois une étape significative dans l’histoire de l’OLP, dominée peu après cet événement par les groupes militaires palestiniens, mais aussi, à cause de l’impact qu’elle a eu sur la mobilisation de masse des Palestiniens.
Autre événement marquant, les massacres perpétrés dans les camps de Sabra et Chatila par les miliciens des Forces libanaises à la suite de l’assassinat de Bachir Gemayel, président de la République libanaise, avec complaisance des forces israéliennes occupant Beyrouth-Ouest (16-18 septembre 1982). Une série d’affiches du Département de l’information et de la culture leur a été consacrée aussitôt. Au graphisme sombre et aux thèmes graphiques macabres, ces affiches paraissent avoir l’objectif de susciter l’horreur auprès de la communauté internationale et de discréditer Israël. De plus, elles visent à ancrer ces événements dans la mémoire collective de la nation, voire dans celle de la communauté internationale, comme l’aboutissement d’une série de violences collectives commises à l’encontre du peuple palestinien et liées à la création de l’Etat israélien. Telle l'affiche qui en établit une liste, inaugurée par les massacres perpétrés par l’Irgoun à Deir el Yassin (1948) et aboutissant à ceux de Sabra et Chatila. Assimilant Israël à l’impérialisme des Etats-Unis, le sionisme au nazisme et au racisme, et faisant recours aux représentations crues de la mort ou à certains symboles qui y renvoient (crane, photos des cadavres, sang), cette série d’affiches reprend en réalité des thèmes récurrents de la propagande palestinienne.
A ces deux évènements, Tall al Za’atar (1976) se joint pour compléter cette mythologie d’épopée nationale de la période précédant le déclenchement de la première Intifada. La photographie est utilisée couramment pour documenter les affiches au sujet de Tall al Za’atar et informer sur les massacres subis par les Palestiniens au moment de l’évacuation du camp. Ces affiches donnent à voir le contexte régional du Proche-Orient et l’imbrication entre le problème palestinien et les guerres du Liban. A l’exemple de Karameh, Tall al Za’atar a aussi donné lieu à l’organisation d’évènements culturels. Une affiche datée de 1977 annonce ainsi l’exposition de photographies, de peintures, d’affiches et de livres inspirés par l’évènement, tenue à l’Université arabe de Beyrouth à l’occasion de son premier anniversaire.
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Affiche du Fatah annonçant l'exposition tenue à la galerie Al Karameh, Beyrouth, à l'occasion du premier anniversaire de la bataille de Karameh, 1969. |
Affiche du Département de l'information, de la culture et de l’orientation nationale (information unifiée) sur Tall al Za'atar, sans date.
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Affiches du Département de l'information, de la culture et de l'orientation nationale sur les massacres de Sabra et Chatila, 1982.
Création visuelle et politique
Cela nous ramène à la question de l’art engagé en faveur de la lutte nationale palestinienne et, plus généralement, au croisement entre art et politique. Tout comme la section des arts plastiques, la section des arts graphiques était intégrée dans le Département de l’information, de la culture et de l’orientation nationale, et chargée de la production d’affiches, mais aussi de placards et de cartes postales. Plusieurs affiches de la collection de la BDIC portent la signature d’artistes tels que Naim Ismael, Mustafa al Hallaj, Ismail Shammout, Abdel Rahman Al Muzain, Muwwafaq Mattar, Samir Salameh. Cependant, dans leur majorité les affiches ne sont pas signées par leur créateur, ce qui n’est pas sans rappeler le refus du statut d’artiste et sa mise, sous anonymat, au service d’une cause collective supérieure à l’individu. Soit une pratique qu’on rencontre dans des contextes aussi différents que proches de l’univers de la création artistique palestinienne, dans l’espace et/ou dans le temps – par tradition ou par des circulations des individus –, que peuvent l’être l’art byzantin ou la production graphique issue de mai 68. Il est clair, toutefois, que l’anonymat n’était pas une pratique exclusive et que les artistes palestiniens signaient aussi leurs œuvres en tant que tels. Il existait, en réalité, une véritable politique de soutien à l’ensemble de la création artistique de la part de l’OLP (art, graphisme, littérature, cinéma…) sous forme de bourses d’études, des aides financières pour la création et la diffusion des œuvres artistiques. En échange, les artistes versaient 5% de ce qu’ils gagnaient à leur syndicat. Les artistes palestiniens faisaient partie de réseaux internationaux tels que l’Union arabe d’artistes (Ligue arabe) ou l’Union internationales des arts (Unesco), ce qui leur permettait de participer à des manifestations internationales, dont ils seraient autrement exclus.
Dans la collection de la BDIC on trouve des affiches d’expositions d’art internationales, notamment de l’exposition d’art pour la Palestine, tenue du 21 mars au 5 avril 1978 à l’Université arabe de Beyrouth. Des artistes venant d’une trentaine de pays du monde entier, dont les Etats-Unis et l’URSS, y ont exposé leurs œuvres qui ont fait par la suite l’objet d’une exposition permanente accueillie par la galerie d’art Al Karameh. De manière significative, la galerie a été parmi les cibles de l’aviation israélienne lors de la guerre de 1982, tout comme le Centre de recherches palestinien, fondé en 1965, dont les archives et la bibliothèque ont été spoliées par Tsahal et transportés en Israël. Les bombardements israéliens et le départ de l’OLP du Liban ont porté un coup décisif à l’ensemble de la création artistique palestinienne. Toutefois, la production des affiches semble relativement épargnée, même s’il est clair que sa capacité d’atteindre directement le public à travers l’organisation d’expositions a subi les conséquences du départ de l’OLP du Liban.
Affiche pour l'exposition Art for Palestine (Université arabe de Beyrouth, 21 mars-5 avril 1978), éditée par la section des arts plastiques du Département de l'information, de la culture et de l'orientation nationale (information unifiée), 1978.
En dehors des expositions d’art internationales, signes de la participation des artistes palestiniens à la création artistique mondiale ou/et à leur appartenance à des réseaux transnationaux de solidarité à la lutte palestinienne, des affiches de la collection signalent, on l’a vu, des expositions liées à des évènements marquants qui servent de repères dans la création d’une histoire nationale palestinienne. Il serait utile d’interroger davantage le rôle des ces expositions, organisées quasi-immédiatement, en tout cas dans le temps court de l’évènement. Placées dans le cadre de la diffusion de l’information mise au service de la résistance palestinienne, ces expositions ont à la fois documenté ces évènements, en fournissant en même temps des matériaux pour la fabrique de leur histoire. Cependant, la question se pose de savoir quel public ces manifestations atteignaient, tenues comme elles étaient dans les galeries beyrouthines ou aux lieux universitaires. Autrement dit, quelle catégorie socioprofessionnelle des Palestiniens était concernée par les expositions artistiques et du discours national dont elles étaient porteuses ? En réalité, la réponse est fournie par l’affiche elle-même, qui retrouve son rôle de média accessible par un public large de composition sociale mixte. Qu’il s’agît de célébrer la bataille de Karameh ou la chute de Tall Za’atar, les affiches ont participé aux expositions artistiques, mais elles ont aussi fait l’objet exclusif d’expositions tenues non seulement dans un environnement urbain, mais encore dans les camps des réfugiés palestiniens des pays arabes.
Certes connectées de diverses manières à l’environnement urbain des capitales arabes, mais néanmoins marginalisées par rapport à celui-ci, les zones des camps palestiniens s’inscrivent dans la continuité comme des zones de précarité caractérisées par le surpeuplement et la pauvreté, surtout que la guerre des Six Jours a créé de nouvelles vagues de réfugiés. Dans ce cadre, l’affiche paraît avoir été le moyen le plus direct pour atteindre un public moins à l’aise avec les pratiques artistiques. En effet, l’exposition de la première commémoration de la bataille de Karameh à la galerie portant le même nom à Beyrouth, en 1969, n’a pas été la seule manifestation artistique liée à cet évènement. Selon le témoignage du photographe Hani Johariyyeh, pionnier dans la fondation de l’Institut palestinien du cinéma à la suite de la guerre des Six Jours, la bataille de Karameh, qui avait en outre exercé un rôle catalytique dans la production de la photographie à cause de la demande internationale à des fins d’information, a eu les mêmes conséquences sur la production des affiches comme moyen de militantisme national. « Un groupe de jeunes nationalistes … ont travaillé non-stop pour imprimer [et] développer … des affiches des feddayins. Les affiches ont été posées sur les grandes tentes du camp des réfugiés d’Al Wahdat en Jordanie. Ceci a été la première exposition dans laquelle le peuple palestinien s’est vu en images qui exprimaient leur cause nationale et leur révolution… De surcroît, plusieurs artistes arabes ont contribué avec des tableaux qui décrivaient la révolution palestinienne. L’exposition a rencontré un grand succès et a eu lieu dans divers endroits du monde arabe ». Combinée à l’impact de Karameh, l’utilisation de la photographie, de l’affiche et de l’art a contribué à la mobilisation de masse des Palestiniens et était ainsi devenue « une nouvelle arme ».
De ce point de vue, force est de constater que, dans leur utilisation des médias visuels, les Palestiniens pouvaient s’appuyer à l’expérience égyptienne – plusieurs artistes et techniciens avaient été formés dans les écoles du Caire –, ou par des échanges avec l’Europe – nombre d’artistes étaient formés dans les capitales européennes. En outre, l’utilisation pionnière de ces médias, en particulier la photographie, renvoie au précédent de la guerre d’indépendance algérienne. L’influence de l’exemple algérien comme force mobilisatrice de la lutte révolutionnaire palestinienne est souvent explicitée de plusieurs aspects. La piste mériterait en tout cas d’être davantage explorée aussi pour son influence éventuelle dans le domaine de la communication.
Affiche du Fatah annonçant l'exposition de photographies, d'affiches, de dessins d'enfants palestiniens, de livres et de publications diverses tenue à l'Université arabe de Beyrouth à l'occasion du premier anniversaire de la chute de Tall al Za'atar, 1977.
Affiche de l'exposition d'affiches de la résistance palestinienne faite à la galerie Underground, Beyrouth, les 3-14 mars 1972.
Brève présentation des thèmes des affiches
Les lieux
Les camps des réfugiés. Des illustrations ou des photos des camps apparaissent souvent dans les affiches comme des illustrations de l’injustice infligée aux Palestiniens par Israël. Ils apparaissent aussi en tant que des foyers de guérilla et de constitution d’une armée populaire.
La terre. La terre est fréquemment le sujet (Journée de la terre) ou l’arrière-plan dans les affiches pour rappeler la patrie perdue et le devoir national de sa libération.
Les lieux de mémoire : Karameh, Tall al Za’atar, Sabra et Chatila. Il s’agit de constituer une épopée de l’OLP, du point de vue du Fatah notamment. Les affiches de Karameh sont dominées par la figure du combattant. Celles de Tall al Za’atar servent aussi pour documenter l’évènement avec des photos pour mieux mettre en valeur la souffrance des battus. Enfin, Sabra et Chatila est évoqué par le biais d’images cruels, sombres et politiquement chargés contre la collusion présumée entre l’impérialisme des Etats-Unis et le militarisme israélien.
Affiche du Département de l'information, de la culture et de l'orientation nationale (information unifiée) pour la Journée de la terre, 30 mars 1976.
Les figures
Le réfugié. Il est possible de distinguer deux utilisations graphiques de la figure du réfugié : a) le réfugié en état de victime, dans ce cas le plus souvent ce sont les figures de femmes et d’enfants qui sont mises en avant ; b) le réfugié combattant issu des camps.
Le combattant. Le combattant armé est une figure omniprésente dans l’affiche. Sa fonction paraît double. D’une part, il est l’incarnation de ce qui est considéré comme devoir patriotique, c’est-à-dire la résistance, et symbole de la renaissance nationale. D’autre part, il sert pour relever le seul véritable élément d’unité entre les fratries palestiniennes de l’OLP, la lutte armée.
Le martyr. Le martyr est souvent illustré comme un combattant armé, mais le statut est attribué à tous les morts même si leurs fonctions étaient davantage politiques ou intellectuelles que militaires, surtout ceux assassinés à l’étranger.
La femme : Figure maternelle, le plus souvent, et à la fois porteuse d’arme et d’enfant, mais aussi camarade, la femme occupe une place de choix dans la production graphique des affiches palestiniennes. Elle apparaît le plus souvent comme une combattante, davantage libérée dans les affiches du Fatah, plus traditionnelle – au moins dans ses habits – dans celles des autres organisations.
L’enfant : Les enfants sont un thème récurrent des affiches, ayant à la fois le rôle de la victime et du combattant.
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"Le génie est sorti de sa bouteille". Affiche du Fatah (Muwaffaq Matar), 1981
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"Ils grandissent grâce à la Révolution". Affiche du Fatah, 1977
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"Le chemin vers la patrie". Affiche du Département de l'information, de la culture et de l'orientation nationale, 1978.
[Dalal Mughrabi, membre du Fatah ayant participé à l’attentat terroriste sur la Route côtière en Israël, en 1978, qui a causé la mort de 38 civils Israéliens].
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Affiche du Fatah, sans date.
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Affiche du FPLP, vers 1968 (Ghassan Kanafani)
Les symboles
L’arme. L’arme, portée par l’homme, la femme ou l’enfant palestiniens, est le symbole de la résistance palestinienne et, on l’a vu, elle incarne une fonction unificatrice, passant sous silence la discorde entre les fratries palestiniennes. Les « armes » nouvelles de la communication prennent aussi sa forme littéralement (telle que la caméra qui se fond dans une arme conventionnelle dans une affiche du Centre du cinéma palestinien).
La croix. La croix est un symbole qui apparaît comme thème de base dans les affiches du Fatah, une de ses composantes prenant souvent ou incluant la forme géographique de la terre palestinienne
19. Sans manquer de renvoyer à un certain syncrétisme entre les communautés religieuses du Proche-Orient, l’utilisation de ce symbole semble davantage puiser sa signification dans l’histoire de la Palestine antique. Pratique exercée par l’occupant romain, et subie par un natif, Jésus, en qui le peuple juif n’a pas reconnu son Messie, la crucifixion de Jésus Christ entre dans le dispositif graphique palestinien pour évoquer l’oppression de l’occupation et, à la fois, ce qui est perçu par les Chrétiens comme le pêché capital des Juifs. Dès lors, le peuple palestinien s’identifie à l’image de Jésus, dont la crucifixion finit par devenir la représentation de la perception palestinienne de la souffrance nationale, sans manquer de faire appel à la solidarité extracommunautaire qui pourrait émaner d’un antisémitisme religieux.
La croix gammée. La croix gammée apparaît graphiquement dans les années soixante-dix dans une propagande qui vise à assimiler le sionisme au racisme et au nazisme. Le thème est récurrent dans les affiches portant sur Sabra et Chatila, où la croix gammée apparaît aussi en tant que SS dans le mot « massacre ».
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Affiche de l'Institut du cinéma palestinien, Département de l'Information, de la culture et de l'orientation nationale (information unifiée), 1985.
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"Palestine, ma patrie". Affiche du Département de l'Information, de la culture et de l'orientation nationale (information unifiée), 1977.
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Affiche du Fatah, 1982. |
Les abstractions
La révolution. La révolution est un sujet qui revient constamment tant comme notion générale renvoyant à la résistance palestinienne que comme construction nationale et repère de l’histoire palestinienne, évoquant l’appel à la révolution du Fatah en 1965.
La lutte armée, le terrorisme. La lutte armée est un sujet omniprésent dans les images ou dans les textes des affiches. Les actes terroristes sont aussi clairement évoqués et illustrés, ils entrent cependant dans un cadre explicatif, soit par l’image soit par le texte, qui revendique ces actes comme le volet nécessaire de la lutte d’un peuple qui subit une injustice. Ceci est plus explicite dans les affiches du PFLP.
Affiches du PFLP, sans date.
1 Cf. le colloque Le Moyen-Orient, une passion française ? De la guerre des Six Jours à « Septembre noir » (1967-1970), organisé par le Département archives et recherche de la BDIC et la Chaire d’histoire du monde arabe contemporain du Collège de France, les 1-2 octobre 2008, dont les actes ont été publiés dans MATERIAUX pour l’histoire de notre temps, 96, 2009/4. Cf. aussi le compte-rendu du colloque réalisé par Leyla Dakhli dans La lettre du Collège de France, 24 décembre 2008, mis en ligne le 15 novembre 2010, consulté le 30 septembre 2012. URL :
http://lettre-cdf.revues.org/652.